« Il convient au roi et à l’État qu’il ne reste ni une semence ni une race de celui-ci, ou de tout autre Tupac Amaru ou Tupac Katari, à cause du grand bruit que ce nom maudit a fait parmi les natifs… Autrement, il resterait un ferment éternel » : la sentence visant à condamner Túpac Katari, le 15 novembre 1781, fait état des craintes de la Couronne royale espagnole face aux insurrections dans ses colonies d’Amérique. Ce qui débute par un litige sur les droits de propriété, à l’initiative du cacique amérindien Tomás Katari, devient un véritable soulèvement populaire entretenu par deux figures majeures restées dans les mémoires en Amérique du Sud.
José Gabriel Condorcanqui (1738-1781) est né de sang inca et espagnol, ce qui lui confère une identité métisse, marquée par l’aristocratie des criollos (créoles). Il prend le surnom de Túpac Amaru II, en référence au dernier souverain inca, lorsqu’il mène un grand soulèvement anticolonial au Pérou à partir de l’automne 1780. Il s’insurge contre la domination des peuples indigènes et décrète l’abolition de l’esclavage des Noirs. Après quelques succès initiaux, la répression espagnole est particulièrement féroce et Túpac Amaru II est vaincu lors de la bataille de Checacupe le 6 avril 1781. En mai, il est exécuté sur la Plaza de Armas à Cuzco.
Cependant, la rébellion initiée au Pérou essaima dans le reste des colonies espagnoles, notamment dans la vice-royauté du Río de la Plata. Julián Apaza (1750-1781), surnommé Túpac Katari, un chef rebelle de l’ethnie aymara, prit la tête d’un mouvement de résistance indigène. Moins complaisant avec l’aristocratie indienne et plus radical dans ses positions démocratiques et anti-espagnoles, le soulèvement armé populaire se répand dans de nombreux territoires. Les tensions entre les Aymaras et les Quechuas (ethnie majoritaire et plus intégrée) mettent à mal la progression de la lutte contre l’occupant espagnol. Trahi par l’un des siens, Túpac Katari connaît le même sort que Túpac Amaru II et est écartelé en place publique de La Paz.
Les deux chefs sont devenus des symboles des cultures amérindiennes, considérés comme des précurseurs des indépendances des pays sud-américains, puis des mouvements indigénistes. Lors de l’exécution de Túpac Katari, une phrase célèbre lui est attribuée avant que sa langue ne soit tranchée : « Ils ne tueront que moi seul... mais demain je reviendrai et je serai des millions ».
PS : si vous lisez ces lignes par curiosité, vous apprendrez peut-être que le surnom du rappeur américain 2Pac, de son nom civil Lesane Parish Crooks, provient de Túpac Amaru II. En effet, il est appelé Tupac Amaru Shakur par sa mère, membre active du Black Panther Party, en souvenir des mouvements de révoltes indigènes que l'Andin avait initiés.
Pour aller plus loin :
* « Túpac Amaru ou le mythe de la rébellion des Andes », Marie-Danielle Demélas, L’Histoire, juillet-août 2007 ;
* « La grande révolte indienne », Yvan Le Bot, Paris, Robert Laffont, 2009 ;
* « Identité et politique : le courant Tupac Katari en Bolivie », Jean-Pierre Lavaud, Problèmes d'Amérique latine, 2013 ;
* « Je reviendrai et je serai des millions », Jean Ortiz, Chroniques boliviennes, 6 mars 2015 ;
* « Du local à l’impérial : extorsion, insurrection et réforme dans le Haut-Pérou de Charles III (1759-1788) », Philippe Castejón, Caravelle, 2019 ;
* « Túpac Amaru II, le dernier rebelle inca », Romane Carmon, RTBF, 30 octobre 2020.
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