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Photo du rédacteurPierre SUAIRE

La Crimée, une péninsule historiquement disputée

Dernière mise à jour : il y a 4 heures

Alors que les affrontements militaires entre la Russie et l’Ukraine gagnent en intensité ces derniers jours, nous vous proposons de revenir sur l’histoire de la Crimée. Ce territoire, historiquement convoité par de nombreux empires pour sa dimension stratégique, est situé au sud de l’Ukraine. Rattaché de facto à la Fédération de Russie depuis le printemps 2014, il ne constitue plus le cœur des tensions entre les deux pays mais demeure un point d’achoppement dans les relations entre la Russie et les pays occidentaux. Dans les mentalités et projections historiques, la Crimée représente un nœud qui continue de susciter un imaginaire riche mais souvent fantasmé. Comment expliquer cette importance géopolitique sur le temps long ? En quoi la composition démographique de la péninsule est un aspect fondamental des tensions ? Quelles sont les racines et ramifications des discours projetés sur les territoires criméens ?


Ruines de Panticapée, la capitale du royaume hellénistique du Bosphore. Le prytanée, datant du IIe siècle av. J.-C. et situé près du détroit de Kertch, est le monument central de la cité grecque et de sa vie politique.

Durant l’ère antique, la Chersonèse Taurique désigne la presqu’île située au nord du Pont-Euxin (Mer Noire). Dès le VIe siècle av. J.-C., les cités grecques qui ont colonisé les rivages de cette péninsule ont dû composer avec des populations variées, et notamment des nomades comme les Scythes, les Sarmates et autres Cimmériens (qui, étymologiquement, ont peut-être donné le nom de Crimée). Des échanges commerciaux, culturels, sociaux notables ont caractérisé les relations entre le royaume du Bosphore (situé autour du détroit de Kertch), les autres cités grecques et les peuples de la région. Celle-ci est conquise en partie par les Ostrogoths, poussés par les Huns, à la fin de l’Antiquité. La moitié sud reste dans l’influence gréco-romaine, tandis que les Goths de Crimée dominent le nord. À travers les siècles, ce territoire se trouve à la croisée des chemins des peuplades des steppes, qui y font des incursions régulières, ainsi que du patronage de principautés (comme celle de la Rus de Kiev ou celle des Khazars) qui souhaitent bénéficier de la situation stratégique de la péninsule.


Traces archéologiques des Goths de Crimée sur une tombe du Ve siècle, à Mangoup. Ces symboles et inscriptions hébraïques montrent qu'une partie des Goths, comme leurs suzerains Khazars, s'étaient convertis au judaïsme.

Au début du XIIIe siècle, la Crimée fait l’objet des convoitises de deux thalassocraties : les Républiques de Venise et de Gênes. Dans le contexte des croisades vers l’Orient, des comptoirs commerciaux sont installés dans l’espace byzantin par ces deux empires maritimes. Cependant, au cours des années, l’empire mongol accroît son emprise territoriale et s’étend jusqu’aux portes de l’Europe (années 1230-1240). La Crimée constitue pendant de nombreuses décennies l’un des théâtres de l’affrontement entre les territoires gréco-romains (à l’exception de la principauté de Théodoros) et le khanat mongol de la Horde d’Or. Ainsi, le port génois de Caffa, faisant partie de la Gazzaria (dont le nom renvoie aux Khazars), connaît une bataille à l’importance mondiale en 1345-1347. Les armées mongoles et tatares, décimées par la peste bubonique déclarée en Asie centrale, catapultent leurs cadavres en direction des assiégés. De retour en Italie après la levée du siège, les Génois transportent la maladie, qui se répand sur l’ensemble du pourtour méditerranéen.


La forteresse génoise de Soldaia (Soudak), ville à l'ouest de Caffa, date de 1385.

Au cours du XVe siècle, l’Empire ottoman étend ses possessions autour de la Mer Noire et devient le nouvel acteur majeur de la région. En 1475, les Ottomans s'emparent de la péninsule après la conquête de la principauté de Théodoros et la cèdent à leur vassal, le Khanat de Crimée, ayant succédé à la Horde d’Or. Le Khanat est un État gouverné par les Tatars de Crimée, héritant d’une ascendance turco-mongole. Ils étaient craints par les peuples environnants par leurs raids dévastateurs, très fréquents entre le XVIe et le XVIIe siècles. Fort de ces incursions, par le pillage et le commerce des esclaves, le Khanat constitue une puissance prospère dans la région. En 1571- 1572, le sac de Moscou par les Tatars de Crimée et par les Ottomans conduit les tsars russes à engager le pays dans une politique impériale affirmée et notamment une expansion vers le sud, appelé « Nouvelle-Russie ». Celle-ci monte en puissance jusqu’au XVIIIe siècle ; en 1687 et en 1689 par exemple, la régente de Russie Sophia Alexeievna lance deux campagnes militaires pour annexer une Crimée affaiblie, mais en vain.


Cavaliers cosaques à la frontière sud de la Moscovie, par le peintre russe Sergueï VassilievitchIvanov, en 1907

De nouvelles guerres russo-turques au milieu du XVIIIe siècle achèvent de placer la Crimée dans l’orbite de la « Troisième Rome » russe. La tsarine Catherine II conçoit dans cet esprit un « projet grec » visant à repousser l’Empire ottoman, à restaurer la grandeur orthodoxe et établir un accès russe à la Mer Noire. Ainsi, le traité de Koutchouk-Kaïnardji (1774) prévoit sur le papier l’indépendance du Khanat de Crimée, mais son dirigeant est choisi par Catherine II. Les tentatives de soulèvements et contestations de la population sont matées par l’invincible général Alexandre Souvorov. Sous l’impulsion de son favori Grigori Potemkine, qui fonde entre autres la ville portuaire fortifiée de Sébastopol, Catherine II intervient dans les affaires internes à la Crimée, formellement rattachée à l’Empire en 1783. Cet état de fait est entériné par les défaites ottomanes dans les conflits suivants. Les Russes mobilisent un imaginaire civilisationnel, opposant schématiquement le monde des orthodoxes aux musulmans ; dans cet esprit, ils multiplient les références gréco-romaines dans les noms des villes fondées ou annexées en Nouvelle-Russie.


En 1787, la tsarine est accueillie par des « Amazones » à Balaklava, des femmes grecques de Crimée que les historiens de l'époque projettent comme les ancêtres mythiques des Slaves. Le voyage en Crimée de Catherine II est l’occasion d’une véritable mise en spectacle des paysages et rencontres par Grigori Potemkine.

Dès lors, les Tatars de Crimée, mis en minorité, doivent rendre les armes, libérer les esclaves chrétiens, et font face à l’installation massive sur leurs terres de colons et d'agriculteurs russes, ukrainiens et allemands. La Russie impériale déploie les Cosaques afin de contraindre les Tatars et les Roms à l’assimilation ou à l’exil. À partir de 1802, l'Empire russe crée un gouvernement de Tauride, en référence au peuple antique des Taures, centré sur Simferopol. Se vidant de sa population originelle (majoritairement musulmane), le territoire de la Crimée et son arrière-pays font l’objet d’une ambitieuse politique d’aménagement par le pouvoir russe, dans le but d’attirer de nombreux peuples (chrétiens et juifs) au cours du XIXe siècle. Cette expansion économique inquiète l’Empire ottoman, qui, au milieu des années 1850, fait appel à la Grande-Bretagne et à la France pour contrer la progression russe. Ces puissances s’engagent dans un conflit meurtrier qui ne fait que générer des rancœurs mutuelles entre les forces en présence.


Détail du panorama réalisé par Franz Roubaud en 1904 sur l'assaut du 18 juin 1855 contre Malakoff, une colline située à proximité de la place stratégique de Sébastopol.

Après la guerre de Crimée (1853-1856), celle-ci reste sous le contrôle de l’Empire russe. Le littoral méridional de la péninsule devient un lieu de villégiature privilégié pour l’aristocratie russe, à l’image de la région de Yalta. Au sein de la complexe Révolution russe, se déroule la guerre d'indépendance ukrainienne (1917-1921), alimentée par un sentiment régionaliste croissant dans la « Petite Russie » ou Ruthénie depuis le milieu du XIXe siècle. Les tensions nationalistes et politiques sont exacerbées en Crimée. Opposant notamment Ukrainiens, Russes et Tatars, chacun de ces groupes ethniques eux-mêmes divisés en différentes obédiences politiques, sans compter les interventions des puissances européennes, la guerre civile fait rage et divise la société criméenne en multiples factions. Dans les derniers temps du conflit (novembre 1920), les ultimes partisans de la Russie tsariste (Armée blanche), repliés derrière l’isthme de Perekop, doivent céder sous les assauts des anarchistes ukrainiens et des Bolcheviques (Armée rouge) et fuient vers Istanbul.


Évacuation de l'armée blanche russe par le général Baron Piotr Nikolaïevitch Wrangel depuis Sébastopol en novembre 1920.

À partir de 1921, la République socialiste soviétique autonome de Crimée intègre l’URSS en tant que république à part entière. Le pouvoir soviétique vise à réparer les persécutions subies par la minorité des Tatars de Crimée lors de l’époque tsariste et leur accorde un rôle politique notable au sein de l’appareil communiste, ainsi qu’une tolérance linguistique et culturelle. Cependant, à partir de 1928, la reprise en main stalinienne met fin à cet apaisement et marque un tournant brutal pour les Tatars de Crimée. Des dizaines de milliers de personnes sont déportées, emprisonnées ou exterminées, en particulier dans la classe intellectuelle, pour mener à bien des campagnes de russification et de soviétisation de la société criméenne. Dans les années 1930, la collectivisation forcée et la répression des mouvements de contestation conduisent à une période terrible de famines orchestrées par le pouvoir soviétique. Staline, par cette impitoyable politique, entend éliminer toute contestation nationale dans les marges méridionales de son empire.


Peinture de Konstantin Bogaïevski, représentant l’ancienne capitale du khanat de Crimée, Staryï Krym, en 1903. Le nom de cette ville, Qirim, peut être rapproché de celui de la péninsule.

La Crimée fait partie des objectifs militaires à conquérir pour le Troisième Reich lors du déclenchement de l’invasion de l’URSS en 1941. L’enjeu est stratégique mais aussi symbolique : en effet, la Crimée est vue par les nazis comme une terre d’origine gothique, qu’ils nomment « Gotenland ». Des populations allemandes y émigrent par vagues depuis le début du XIXe siècle, mais dès le déclenchement de l’Opération Barbarossa, la majorité des Allemands de Crimée ont été déportés en Asie centrale par le pouvoir stalinien. Promise à une « regermanisation », la péninsule est conquise à l’automne 1941 par la Wehrmacht. Le port fortifié de Sébastopol résiste de longs mois mais finit par céder en juillet 1942. La Crimée est placée sous administration militaire, qui entreprend des projets coloniaux et vise à éradiquer les peuples non-germaniques. Les Juifs, les Roms, les Krymtchaks et les partisans soviétiques sont assassinés à la grenade ou par camions à gaz dès l’hiver 1941-1942. L’attitude de la population criméenne est divisée entre collaboration, résistance, ou des actes ponctuels de solidarité entre communautés (comme envers les Karaïtes).


Rafle menée par des gendarmes et soldats allemands à Simferopol, en janvier 1942

Après la reconquête de la péninsule par l’Armée Rouge au printemps 1944, une autre épuration ethnique fait suite à celle menée par les Nazis. En effet, tous les peuples accusés d’avoir collaboré avec les troupes d’occupation germaniques sont déportés vers l’Asie centrale ou vers le système concentrationnaire des camps du Goulag. Ce « nettoyage des traîtres à la patrie » vise notamment la « détatarisation » menée à l’encontre des Tatars de Crimée, à travers plusieurs axes. Administrativement, la péninsule perd le rang de République autonome et devient un oblast. Démographiquement, la population tatare est évacuée dans le but de favoriser l’implantation de colons slaves. Sur le plan historiographique et dans les monuments, la région efface les apports positifs de l’histoire tatare en Crimée. En 1954, à l’occasion du tricentenaire du traité de Pereyaslav, consignant le rattachement de l’Ukraine à l’Empire russe, l’oblast de Crimée est intégré à la République socialiste soviétique d'Ukraine par le nouveau dirigeant soviétique Nikita Khrouchtchev. Le but est de repeupler et de redonner un nouveau souffle économique à la péninsule, alors dans une situation désastreuse du fait des déportations massives.

Décret du Præsidium du Soviet suprême "Sur le transfert de l'Oblast de Crimée". Conseil  suprême, 9 mars 1954.

En 1967, un décret annule les accusations formulées à l’encontre des Tatars de Crimée prononcées après-guerre, mais reste sans effet concret pour le « peuple puni ». C’est au moment de la dislocation de l’URSS que de nouveaux mouvements de population et des évolutions politiques sensibles voient le jour. Au printemps 1992, le Parlement de Crimée fonde la République de Crimée, avec la reconnaissance de droits d’autogestion par l’Ukraine. La Crimée proclame même son indépendance, introduit une Constitution, mais celle-ci précise que son territoire fait partie de l'Ukraine. Cette nouvelle donne contrarie les élites russes et les populations russophiles de la Crimée, mais le président Boris Eltsine parvient à négocier un statut spécial pour la base navale de Sébastopol. Un traité d'amitié, de coopération et de partenariat entre l'Ukraine et la Fédération de Russie est signé à la fin des années 1990 et permet d’approuver conjointement cette décision. Ce texte prévoit une reconduction tacite tous les dix ans. Cependant, la dégradation des relations entre Ukraine et Russie au cours des années 2000 fait qu’il n’a été renouvelé qu’une seule fois.


Des manifestations anti-OTAN ont lieu dans la ville portuaire de Théodosie début juin 2006, perturbant partiellement un exercice militaire conjoint ukraino-américain.

En 2010, dans une volonté d’apaisement avec la Russie, le Parlement ukrainien adopte une loi confirmant son statut de pays « non-aligné », renonçant ainsi à une adhésion à l’OTAN. Cette disposition est parfois interprétée comme un acte de « finlandisation » (correspondant à une neutralité contrainte face à un puissant voisin) mais elle permet d’éviter l’embrasement d’une situation potentiellement conflictuelle en Crimée en raison de la répartition de la population : bien qu’il faille faire preuve de prudence en ce qui concerne les données ethniques et ethnolinguistiques, environ 60 % des habitants se déclarent Russes, 25 % Ukrainiens, moins de 15 % Tatars, tandis que 98 % de la population de la Crimée parle le russe. La même année, les élections générales en Crimée octroient une large majorité au Parti des régions, russophile et, comme son nom le suggère, défenseur d’une autonomie régionale renforcée. Plus largement, l’Ukraine est alors dominée par ce parti, bien que la population soit divisée sur l’attitude à adopter vis-à-vis de l’Union Européenne, notamment sur le plan économique et diplomatique.


Le président ukrainien Viktor Ianoukovytch et le président russe Dmitri Medvedev, lors de la signature des accords de Kharkov le 21 avril 2010. Ces accords prolongent l'utilisation de la base navale de Sébastopol contre des rabais importants sur le gaz russe.

À la fin de l’année 2013, l’Ukraine et l’UE étaient sur le point de conclure un accord d’association, négocié de longue date, afin de pallier les carences financières du pays d’Europe orientale. Néanmoins, le président Viktor Ianoukovytch, sous pression russe, choisit de refuser cet accord ; cette décision suscite un soulèvement pro-européen à Kiev sur la place de l’Indépendance (souvent appelée « Maïdan »). La radicalisation du mouvement populaire est exacerbée par la répression menée par le pouvoir de V. Ianoukovytch. En février 2014, les institutions politiques de Kiev sont renversées par les manifestants, ce qui provoque un changement de pouvoir. Perçu comme une révolution légitime par les pro-européens, ce mouvement est assimilé à un « coup d’État fasciste » par les régions les plus russophiles (parmi lesquelles les oblasts de Louhansk et de Donetsk, ainsi que la Crimée). Celles-ci proclament leur indépendance respective de l’Ukraine, « validée » par des référendums d’autodétermination organisés au printemps 2014, mais non-reconnue par la communauté internationale.


Manifestations place de l'Indépendance à Kiev protestant contre l'intervention russe en Crimée, le 2 mars 2014.

Le 18 mars, le président Vladimir Poutine signe un accord avec les dirigeants de Crimée et entérine le rattachement de la péninsule à la Fédération de Russie. En réaction, les autorités ukrainiennes ont tenté d’appeler à une réaction du Conseil de sécurité des Nations unies, en particulier des États-Unis et de la Grande-Bretagne. En effet, ces pays (de même que la Russie) s'étaient portés garants de l’intégrité territoriale et de la souveraineté de l'Ukraine via le Mémorandum de Budapest, un document signé en 1994, en contrepartie de son renoncement aux armes nucléaires après l’effondrement de l'Union soviétique. Les États occidentaux condamnent fermement les actes russes, prononcent des sanctions économiques et diplomatiques, et dénoncent « l’annexion » de la Crimée, justifiée par un référendum « illégal ». Toutefois, ces pays ne s’engagent pas sur le plan militaire. La Crimée devient de facto un territoire russe, tandis que la situation s’embrase dans l’est de l’Ukraine dès le printemps 2014. La conflictualité varie en intensité au cours des années (accords de cessez-le-feu, reprise des combats, discussions internationales, etc.) mais demeure latente jusqu’à la reprise spectaculaire de la guerre lors du mois de février 2022 sous l’impulsion de Vladimir Poutine.


Le président russe Vladimir Poutine avec le ministre des Transports Yevgeny Ditrikh, lors de l’inauguration de la voie ferrée liant la Russie continentale et la Crimée, à Taman le 23 décembre 2019.

Les enjeux du rattachement de la Crimée à la Russie sont de différentes natures et les perceptions évoluent selon les échelles temporelles et spatiales considérées. En effet, il est nécessaire de combiner des approches variées pour saisir l’incroyable enchevêtrement géopolitique à l’œuvre dans la péninsule. Les dimensions mémorielles, les données démographiques voire ethnolinguistiques, la situation géostratégique de « sentinelle » de la Mer d’Azov et de la Mer Noire, les ressentiments mutuels, l’équilibre des relations russo-ukrainiennes, les arbitrages de la diplomatie internationale, le renouveau des zones d’influences post-Guerre Froide, sans oublier les luttes dans le domaine énergétique ou pour le contrôle des espaces maritimes sont autant de paramètres déterminants dans la « question de Crimée ». Depuis 2014, la population de la péninsule a été renouvelée puisque des dizaines de milliers de personnes issues des minorités ukrainiennes et tatares de Crimée ont émigré, principalement vers l’Ukraine, alimentant le sentiment anti-russe. À l’inverse, des centaines de milliers de Russes se sont installés en Crimée, actant à nouveau la volonté de russification de ce territoire singulier.


« Alliances et conflits autour de la Mer noire », Cécile Marin, Le Monde Diplomatique, janvier 2019.

Ainsi, la Crimée est un territoire suscitant les convoitises et au cœur des conflits depuis des siècles. Ses villes et rivages ont abrité des événements déterminants dans les constructions identitaires et dans les luttes d’influences entre de nombreux peuples et empires à travers le temps. L’exemple mythique du baptême du grand-prince Vladimir Ier de la Rus’ de Kiev à Chersonèse à la fin du Xe siècle, mentionné par le président russe lors du rattachement de la Crimée en mars 2014, illustre bien l’importance de la culture et de l’histoire dans les confrontations géopolitiques contemporaines. La convocation de références plus ou moins lointaines sert à légitimer l’ancrage du territoire dans tel récit politique ou dans tel ensemble civilisationnel. Cependant, la question de l’appartenance de la Crimée peut également se poser en termes juridiques en confrontant deux notions : le principe d'intégrité des États face au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Au sujet de la Crimée et du Donbass, la Russie a sans aucun doute trahi son engagement signé lors du Mémorandum de Budapest mais prétend convoquer un principe supérieur d’autodétermination. L’avenir géopolitique mondial dépend en partie du poids de ces normes dans les rapports de force internationaux.


Pour aller plus loin :

« La Crimée, entre mythes et châtiments », article de Kommersant traduit par Courrier International, 21 novembre 2017.

ARMANDON Emmanuelle. « La Crimée entre Russie et Ukraine, un conflit qui n’a pas eu lieu », 2012.

AUDOUIN-ROUZEAU Frédérique. Les Chemins de la peste : le rat, la puce et l'homme, éditions Tallandier, collection Texto, Paris, 2007.

CAMPANA Aurélie. « L’ethnicisation du champ politique en Crimée, affrontements politiques et systèmes de représentations différenciées », Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, 2004.

DANA Madalina. « Grecs et populations locales autour de la mer Noire, du VIIIe siècle au IIIe siècle av. J.-C. », Cahiers du LEPAARQ, 2018.


DELANOË Igor. « La Russie s’affirme en mer Noire », Le Monde Diplomatique, janvier 2019.


DUFAUD Grégory. « La déportation des Tatars de Crimée et leur vie en exil (1944-1956). Un ethnocide ? », Vingtième Siècle, Revue d'histoire, vol. 96, no. 4, 2007.


GONNEAU Pierre. « Crimée : une péninsule convoitée », L’Histoire, n°399, mai 2014.

LARANÉ André. « Crimée – Une péninsule très convoitée », Hérodote.net, 26 janvier 2022.


RICHARD Yann. « La crise de Crimée (mars 2014) : comment en est-on arrivé là ? », EchoGéo, 4 septembre 2014


ROULAND Norbert. « À qui la Crimée appartient-elle ? », The Conversation, 23 juillet 2020.


SERGIENKO Vladislava et MARTINETTI Joseph.« La question de Crimée : un cas d’école pour l’analyse géopolitique ? », Cahiers de la Méditerranée, 2020.


SLAVICEK Marie et BRANDY Grégor. « Les mots pour comprendre la crise ukrainienne », Le Monde, 22 février 2022.

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