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Photo du rédacteurPierre SUAIRE

Géohistoire du football : des origines lointaines à la mondialisation contemporaine

Au lendemain de la victoire du Sénégal lors de la Coupe d’Afrique des Nations de football, qui a mis en joie l’ensemble de la population du pays (ce lundi 7 février est en effet un jour « férié, chômé et payé »), nous vous proposons une géohistoire globale du ballon rond. Quelles sont les origines et évolutions du sport le plus populaire du monde ? Comment un sport codifié en Angleterre se répand-il à travers le monde et pourquoi les principaux événements du football sont liés à la France ? Comment expliquer son importance économique et géopolitique actuelle ?


Bas-relief sur vase représentant un jeune grec s'entraînant avec un ballon. Visible au Musée national archéologique d'Athènes.

La question des origines du football est principalement liée à celle de la codification de la pratique sportive. En effet, il convient de distinguer ce qui relève des jeux de balles, pratiqués depuis des millénaires sur tous les continents de la planète, et des éléments constitutifs du sport moderne. Ainsi, les Chinois adeptes du cuju (littéralement « taper dans le ballon avec les pieds »), les Grecs et les Romains avec l’episkyros (un jeu où le but était d'envoyer la balle au-delà de la ligne adverse), les Mésoaméricains maîtrisant différents jeux de balles, les Aborigènes se divertissant par le Marngrook ou encore les Japonais de l’ère médiévale friands des jongles propres au Kemari pratiquaient des jeux de divertissement, d’adresse et d’entretien physique, généralement déployés en dehors de tout cadre compétitif. Il semble délicat d’établir une filiation directe avec les sports modernes mais on peut relever leur importance sociale et leur répartition géographique.


Dames chinoises jouant au cuju, dynastie Ming.

Entre la période médiévale et la période moderne, d’autres ancêtres indirects du football se démocratisent dans les pays européens. La soule, pratiquée en France et en Angleterre dès le XIIe siècle, est une activité codifiée a minima (les principales règles sont le fait de placer la balle dans l’en-but adverse ainsi que l’interdiction de l’homicide), de même que le calcio fiorentino dans la République de Florence. Ce sont des pratiques de masse, dégénérant régulièrement en mêlées générales. Ce football populaire est pratiqué assez rarement, par des paysans lors de la saison morte, ou lors d’occasions exceptionnelles (comme lors du siège de Florence le 17 février 1530). L’organisation de ces jeux était liée à un moment social de partage, avec une dimension cathartique indéniable : la violence est contenue lors de ces épisodes, dans le but de pacifier les conflits entre communautés.


Un match de Calcio sur la place Santa Maria Novella à Florence, peint par Jan van der Straet, XVIe siècle.

La brutalité de ces joutes populaires conduit à l’interdiction régulière de sa pratique par les autorités politiques, et ce, jusqu’au XIXe siècle. Le folk football étant interdit dans l’espace public en Angleterre, il se rabat sur des espaces clos et encadrés, et va progressivement se doter de règles ; la délimitation des dimensions du terrain, les fautes, la répartition des rôles se codifient mais se heurtent à un obstacle majeur qui est que chaque équipe s’organise différemment. Pour pallier ce chaos réglementaire, la Football Association est formée en 1863 à Londres pour créer des règles unifiées et ainsi, distinguer les pratiques de celles qui existent dans l’école de la ville de Rugby. La FA crée par la suite une coupe opposant l’ensemble des équipes anglaises (1871), puis un championnat regroupant les clubs du nord de l’Angleterre (1888).


Le manuscrit original des Laws of the Game de 1863, présenté au National Football Museum de Manchester.

La division sociale est un élément marquant de la structuration du football : entre pratique amateure et professionnalisme, entre les milieux populaires et une conception élitaire des clubs, entre équipes locales et fédérations nationales, les conflits sont récurrents. De manière légèrement caricaturale, la pratique du football regroupe principalement des joueurs issus des classes ouvrières (par opposition à des sports plus « nobles », comme le cricket, le tennis, le hockey sur gazon et le rugby). La répartition sociale est un aspect fondamental pour comprendre la diffusion globale du ballon rond : en effet, l’expansion du football suit les voyages des ingénieurs et des ouvriers conduits sur les chantiers du monde entier. Dans les colonies britanniques, en Afrique australe, en Amérique du Sud, sur le continent européen, de nombreux clubs essaiment et contribuent à la popularité de ce sport codifié. Néanmoins, le chemin vers le professionnalisme généralisé est encore long.


Indiens jouant au ballon avec le pied, Extrait du livre ancien France pittoresque, XIXe siècle.

La Fédération Internationale de Football Association voit le jour en 1904, dans le but d’harmoniser les réglementations et de donner un cadre pour les rencontres internationales. Le succès rencontré par les compétitions domestiques (coupe et championnat opposant des équipes de différentes villes d’un même pays) ainsi que la présence plébiscitée du football aux Jeux Olympiques (discipline représentée à part entière à partir de 1908) inspirent des dirigeants pour créer un grand tournoi opposant des sélections nationales. La FIFA, sous l’impulsion du Français Jules Rimet, décide de confier l’organisation de la compétition à l’Uruguay, puissance footballistique notable des années 1920, pour le centenaire de l’indépendance du pays. Les Britanniques avaient décidé de se tenir à l’écart des compétitions de la FIFA pour protester contre la réintégration de l’Allemagne et de l’Autriche après-guerre. En 1930, malgré l’absence de certaines formations européennes dominantes de l’époque (Allemagne, Autriche, Italie pour des raisons de distance géographique et l’Angleterre donc), la Coupe du Monde est un franc succès et ce trophée demeure de nos jours la récompense collective la plus prestigieuse, jouée tous les quatre ans.


Affiche officielle du match d’ouverture de la Coupe du monde 1930 en Uruguay, Guillermo Laborde. Voir l’article d’Alexandre Sumpf, « Mondialiser la balle ronde », Histoire par l'image, juin 2021.

À partir des années 1930, le mouvement de professionnalisation se généralise, au sein des clubs, devenant progressivement de véritables entreprises. Retenons le nom de Gabriel Hanot, emblématique de la professionnalisation du football en France et en Europe ; à l’issue de sa carrière de joueur (1920), il devient journaliste sportif au Miroir des Sports puis à L'Équipe. Il participe à la création du premier championnat de France professionnel en 1932, dans le but de lutter contre « l’amateurisme marron », c’est-à-dire la rémunération indirecte de joueurs. En 1955, il impulse la réalisation d’un vieux rêve partagé : créer une compétition regroupant les meilleures équipes européennes. La Coupe des Clubs Champions, connue de nos jours sous le nom de Ligue des Champions, est la compétition de clubs la plus importante. Le même Gabriel Hanot, quelques mois plus tard, a l’idée de remettre une récompense individuelle pour le meilleur joueur de l’année civile. Avec le magazine France Football, il est à l’origine du trophée du Ballon d’Or, consacrant encore aujourd’hui les meilleurs footballeurs chaque année.


Gabriel Hanot remettant le premier Ballon d'or à l'Anglais Stanley Matthews en 1956, photo archives L'Équipe.

Cependant, le développement du football professionnel est associé à de nombreuses dérives, notamment sur ses implications géostratégiques et économiques. Dès les années 1930, les polémiques concernant la neutralité, voire la complaisance de la FIFA vis-à-vis des dictatures fascistes (organisation de la Coupe du Monde en Italie en 1934) et nazies (l’Anschluss de l’Autriche en 1938 étant toléré par la fédération internationale) ne cessent de prendre de l’ampleur et continuent à trouver un écho contemporain. Par ailleurs, officiellement association à but non lucratif, la FIFA est une structure qui brasse énormément de liquidités, à l’instar des clubs professionnels : les scandales de corruption, de tricherie, de blanchiment d’argent sont monnaie courante et contribuent à polluer l’environnement médiatique et sportif autour du jeu. Les problématiques liées à la violence autour du football surgissent avec fréquence dans le débat public, rappelant ses origines pluriséculaires de confrontations organisées dans l’espace public.


Les échauffourées entre Salvadoriens et Honduriens à la fin du match au stade Flor Blanca du Salvador, en juin 1969, sont les prémices de la guerre des Cent Heures entre les deux pays.

L’écrivain uruguayen Eduardo Galeano exprime avec poésie et mélancolie que « l’histoire du football est un voyage triste, du plaisir au devoir. À mesure que le sport s’est transformé en industrie, il a banni la beauté qui naît de la joie de jouer pour jouer ». La professionnalisation et l’industrialisation du football en ont fait une redoutable machine économique. L’influence culturelle, économique, politique du football lui confère une dimension de fait social total. Mais cela ne doit pas faire oublier que « la beauté vient en premier ; la victoire en second ; l’important, c’est la joie », comme le soutenait le meneur de jeu brésilien Sócrates, joueur emblématique de la démocratie corinthiane, un mouvement initié contre la dictature militaire, au pays du joga bonito.


Pour aller plus loin :


« Football et passions politiques », Monde Diplomatique, Manière de voir n° 39, 1998.


« Football », Géoconfluences, juin 2018.


AUBRY Émilie. « Le foot, un enjeu de puissance », Le dessous des cartes, ARTE, 5 février 2022.


AUGUSTIN Jean-Pierre. « Le sport, une géographie mondialisée », La Documentation photographique, juillet-août 2016.


BÉTREMIEUX François. « Les origines du football », L’Équipe, 26 août 2013.


CARPENTIER Éric « Le cuju, ou quand le foot s'invente des origines chinoises », SoFoot, 29 juillet 2016.


CHENAL Yves. « La planète foot », Hérodote, 22 novembre 2020.


CNUDDE Gabriel. « Une petite partie de soule ? », SoFoot, 10 décembre 2015.


CORREIA Mickaël. Une histoire populaire du football, Paris, La Découverte, 2018.


DEY-HELLE Yann, Atlas du football populaire, Terres de Feu, 2024.


FRANQUE Adrien. « Rétro : Gabriel Hanot est l'inventeur oublié du football moderne », Vice, 5 novembre 2015.


GOLDBLATT David. The Ball Is Round: A Global History of Football, Penguin Books, 2007.

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