Au lendemain de la parution de nouvelles révélations sur les dénonciations ayant conduit à la mort d’Anne Frank et sa famille en déportation, nous vous proposons une analyse d’un événement incontournable des manuels scolaires sur la Shoah : la conférence de Wannsee. Dans l’historiographie contemporaine, l’importance de cette réunion de dignitaires du système national-socialiste a été reconsidérée à la baisse mais constitue un jalon marquant dans la planification de l’extermination des Juifs d’Europe. Quel est donc le sens de cette entrevue organisée il y a 80 ans jour pour jour ?
Le 20 janvier 1942, autour de midi, Reinhard Heydrich, le chef de la sécurité du Troisième Reich, convoque quatorze dirigeants nazis de second rang dans la banlieue sud-ouest de Berlin, dans une villa près du lac Wannsee. Ce haut responsable est chargé depuis 1939 d’étudier les possibilités dans le but de vider le Reich de tous les Juifs, qui subissent des persécutions croissantes depuis la prise du pouvoir par Adolf Hitler en 1933. Rapidement, Heydrich comprend que cela ne peut pas être mené uniquement par l’émigration forcée et échange avec Hermann Göring, dirigeant de premier plan du régime nazi. Celui-ci, dans une lettre datée du 31 juillet 1941, lui intime de prendre toutes les mesures nécessaires à une solution globale et finale de la « question juive ». C’est dans cet esprit que Reinhard Heydrich souhaite réunir des technocrates du Reich pour accélérer les procédures et organiser l’extermination des Juifs d’Europe. Cependant, un fait majeur survient dans la géopolitique mondiale avec l’attaque japonaise de la base américaine de Pearl Harbor en décembre 1941. En effet, alors que les événements semblent distants, Adolf Hitler conçoit la nouvelle guerre mondiale comme une guerre à mort contre les Juifs, qu’il convient d’intensifier. Dès l’automne 1941, un camp d’extermination est créé à Chełmno (Pologne) et les exécutions sommaires menées par les Einsatzgruppen dans le cadre de la « Shoah par balles » ont lieu dès l’invasion de l’URSS. Les massacres systématiques de Juifs ont déjà cours et ont fait près d’un million de victimes avant Wannsee.
Initialement prévue pour le 9 décembre, la réunion de Wannsee est repoussée d’un mois et demi. Malgré l’absence du haut dignitaire Heinrich Himmler, partisan d’une extermination « spontanée », menée « dès que possible », cette conférence franchit un pas notable dans sa portée : en effet, à partir du début de l’année 1942, on passe de politiques locales d’assassinats et de déportations à un plan coordonné de génocide à l’échelle européenne et conçu de manière industrielle. Reinhard Heydrich prône une approche « rationnelle », visant à rentabiliser les coûts par le travail forcé, mais aussi d’économiser les balles « gaspillées » lors des meurtres « systématiques, indiscriminés et immédiats ». Le programme de Heydrich est censé se réaliser une fois la guerre gagnée par l’Allemagne nazie, pour mettre pleinement en œuvre l’éradication des 11 millions de Juifs d’Europe. Le contenu de la conférence de Wannsee, connu partiellement par un exemplaire du protocole copié par Adolf Eichmann, porte davantage sur l’organisation pratique et les différences entre pays d’Europe, que sur le principe même de l’élimination des Juifs. La conception méthodique et bureaucratique de la Shoah prévaut dans les premiers temps mais la mort de Heydrich, suite à un attentat mené par des résistants tchécoslovaques en mai 1942 à Prague, change la donne. La logique d’une extermination rapide et totale des Juifs s’impose sous les ordres de Himmler, nouvel architecte de la « Solution finale » en remplacement de Heydrich, et domine la doctrine nazie jusqu’au printemps 1945.
Ainsi, la conférence de Wannsee traduit le changement de pensée des dirigeants nazis. Son principal effet a été de consacrer le rôle prééminent du Reichssicherheitshauptamt puis de la Schutzstaffel (SS) dans l’entreprise génocidaire, un processus reposant sur l’ensemble de l’appareil d’État et des institutions du national-socialisme.
Pour aller plus loin :
* « La conférence de Wannsee », Peter Longerich, éditions Héloïse d’Ormesson, 2019 ;
* « Quelques repères chronologiques de la mise en place de la solution finale pendant la Seconde Guerre mondiale », France Info, 24 janvier 2019 ;
* « Heydrich et Himmler, les planificateurs de l'horreur nazie », Volker Saux, Geo, 15 avril 2020 ;
* « Quand la décision de la "solution finale de la question juive" a-t-elle été prise ? », France Culture, rencontre enregistrée en février 2021 ;
* « Une enquête révèle qui a dénoncé Anne Frank et sa famille », Courrier International, 17 janvier 2022 ;
* « Conférence de Wannsee : il y a 80 ans, les nazis planifiaient la Solution finale », Stéphanie Trouillard, France 24, 19 janvier 2022.
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