En ce jour de commémoration de la Première Guerre mondiale, analysons le rôle de ces « 36 000 cicatrices » que sont les monuments aux morts en France. L’idée d’élever des monuments en mémoires des combattants ne date pas de l’Entre-deux-Guerres, mais renvoie plutôt à la guerre de 1870-1871. Cependant, les commandes de monuments aux morts sont sans commune mesure avec celles de la Grande Guerre. Ainsi, entre les années 1919 et 1922, on dénombre en moyenne trois inaugurations par jour. L’effort de commémoration varie selon les territoires, d’après une typologie dressée par l’historien Antoine Prost :
- les monuments civiques sont les plus répandus, les plus sobres, en lien avec la notion de devoir républicain ;
- les monuments patriotiques célèbrent les « morts pour la patrie » avec une dimension héroïque de sacrifice et de gloire nationale ;
- les monuments funéraires mettent davantage l’accent sur le deuil des familles, femmes et enfants pleurant les morts ;
- les monuments pacifistes, plus rares, comportent des inscriptions hostiles à la guerre ou des messages d’unions de tous les peuples (dans un contexte marqué par l’internationalisme communiste).
- Il existe une autre catégorie de représentations de monuments aux morts, particulièrement délicates et sensibles dans le contexte de l’après-guerre ; il s’agit des territoires d’Alsace-Moselle, rattachés à l’Empire allemand depuis cinquante ans et cédés à la France suite à la Première Guerre mondiale. Souvent, le choix est fait de déplorer les pertes de la commune, sans référence explicite à une nation plutôt qu’à une autre.
Ces monuments aux morts, parfois oubliés, présents dans chacune des communes de France, invitent à se rendre compte de l’ampleur des pertes et du deuil provoquée par la Grande Guerre.
Pour aller plus loin :
- « Les monuments aux morts. Culte républicain ? Culte civique ? Culte patriotique ? », Antoine Prost, in Pierre Nora, Les Lieux de mémoire, tome I, Paris, Gallimard, 1984 ;
- « Les monuments aux morts de la Grande Guerre », Annette Becker, Histoire par l'image, octobre 2005 ;
- « 36 000 cicatrices - Les monuments aux morts de la Grande Guerre », Martine Aubry et François Hébel, Réunion des Musées Nationaux, 2016 ;
- « 14-18 : les monuments aux morts, pierre et plaies », Sylvain Mouillard et Emmanuèle Peyret, Libération, 6 novembre 2018 ;
- « Petite géopolitique des monuments aux morts français », Boris Loumagne, France Culture, 10 novembre 2018 ;
- « Monuments aux morts : le sacrifice en souvenir (1870-nos jours) », Jean-Noël Grandhomme et Laurent Jalabert, Annales de l’Est, Numéro 2-2018.
Comments