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Photo du rédacteurPierre SUAIRE

Portraits et parcours de personnalités politiques féminines du XXe siècle : Alexandra Kollontaï, Sirimavo Bandaranaike et Édith Cresson

À l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, Histoire d'en Parler vous propose trois portraits de personnalités politiques féminines du XXe siècle.


La singularité de leurs parcours respectifs questionne la place dévolue aux femmes dans la politique contemporaine ; ici, il ne sera pas question de présenter des nombreuses femmes monarques ou dirigeantes à travers l’histoire ancienne, médiévale ou moderne, quand bien même leur règne relève souvent de l’exceptionnalité dans l’ordre hiérarchique.


L’enjeu de cette publication est d’évoquer trois pionnières dans l’exercice de hautes responsabilités dans les États du XXe siècle et de saisir les contextes – plus ou moins favorables – entourant ces personnalités.


Alexandra Kollontaï, icône indépendante et féministe de la révolution en URSS



Née en 1872, issue d’une famille aristocratique russe aux origines finlandaises, Alexandra Domontovitch (plus connue sous le nom Kollontaï) est la première femme ministre de l’histoire. Plus exactement, en 1917, elle fait partie du premier gouvernement de Lénine en étant « commissaire du peuple ». Militante marxiste, elle prône de nombreux droits pour améliorer la condition des femmes, davantage opprimées économiquement, socialement et politiquement que les hommes. Elle obtient la légalisation de l’avortement dès 1920 en URSS, premier pays à l’autoriser. Pour assurer la liberté des femmes, elle revendique le droit de vote, l’égalité salariale, le droit au divorce, la prise en charge des enfants par l’État prolétarien et défend une conception de l’amour libre, détaché des conceptions morales bourgeoises du mariage et de la famille.


Dans ses écrits et discours remarqués, elle théorise cette émancipation pour les corps des femmes dans toutes les dimensions de la vie. Dans les années 1930-1940, elle devient la première femme ambassadrice, représentant l’URSS dans différents pays. En 1952, après une intense carrière diplomatique et après avoir échappé aux vagues de purges contre les bolcheviks historiques, Alexandra Kollontaï disparaît et est inhumée au couvent de Novodievitchi de Moscou, réservé aux personnalités importantes du régime communiste. Cependant, sa mort n’a pas été commémorée par la Pravda, l’organe de propagande officiel ; la liberté de ton et les mœurs tumultueuses de cette femme d’exception n’en faisaient plus une icône irréprochable pour l’idéologie stalinienne.


Sirimavo Bandaranaike, la première cheffe de gouvernement au monde, entre modernité et traditions

Après la Seconde Guerre mondiale, sur l’île britannique de Ceylan, l’opinion publique plaide majoritairement en faveur de l’indépendance. La colonie au sud de l’Inde devient un dominion, un État indépendant rattaché à la couronne britannique. Les rivalités ethniques déchirent l’île entre Singhalais et Tamouls, particulièrement lors du gouvernement de Solomon Bandaranaike, d’origine singhalaise et bouddhiste. Celui-ci a en effet promu une loi abandonnant l’anglais et reconnaissant le singhalais comme langue officielle unique, ce qui entraîne des réactions de la part de la minorité tamoule. En 1959, le Premier Ministre est assassiné par… un bouddhiste, qui craint qu’il cède aux exigences des Tamouls. Le Sri Lanka Freedom Party pleure alors la disparition de son dirigeant, qui est alors remplacé par son épouse, surnommée « la veuve éplorée ». Lors des élections de 1960, faisant campagne sur la promesse de poursuivre l’action de son défunt mari, Sirimavo Bandaranaike devient la première femme élue démocratiquement à la tête d'un gouvernement.


À la fois, il s’agit d’un fait inédit dans l’histoire, et cela représente en même temps la continuité politique. Sirimavo Bandaranaike est alors reconnue officiellement par le chef de l’État, qui est... la reine Élisabeth II. La première citée dirige le pays pendant cinq ans, puis se voit à nouveau confier les rênes de l’État dans les années 1970 ; à cette occasion, elle fait adopter la proclamation de la République et le changement de nom officiel de l’île en Sri Lanka. Cependant, les tensions ethniques et politiques conduisent le pays à se déchirer dans une guerre civile s’étirant sur plusieurs décennies. Elle quitte les affaires politiques en 1977, puis est condamnée à l’inéligibilité au cours des années 1980. Sa fille, Chandrika Kumaratunga, devient Présidente de la République entre 1994 et 2000, période durant laquelle Sirimavo Bandaranaike obtient à nouveau le poste de Première Ministre, une fonction devenue plus honorifique. Elle décède en 2000, juste après avoir voté pour les élections législatives du Sri Lanka.


Pas de pitié pour Édith Cresson !

Le parcours d’Édith Campion, de son nom de mariage Cresson, témoigne des réticences persistantes pour confier des responsabilités nationales à des femmes dans la France actuelle. Sa naissance (1934) est presque contemporaine de l’entrée des premières femmes au sein du gouvernement du Front Populaire (en 1936), à des postes de sous-secrétaires d’État, tandis qu’elles n’ont toujours pas le droit de vote (accordé à la Libération). Édith Cresson mène une ascension progressive en gravissant les différents échelons territoriaux et les fonctions au sein du Parti Socialiste, dès les années 1970. Secrétaire générale et membre du comité directeur de la formation de centre-gauche, elle brigue différents mandats d’élue (maire, députée européenne, députée nationale), généralement avec succès, ce qui lui confère une légitimité en théorie. En 1981, elle devient la première femme à être nommée Ministre de l’Agriculture, ce qui est vu comme une provocation par le monde agricole. Elle parvient tant bien que mal à mener sa carrière politique dans un monde d’hommes ; par exemple, avant 1990, la part des femmes à l’Assemblée Nationale n’a jamais excédé les 6 %. Dans la composition des gouvernements, les ministères confiés aux femmes sont moins nombreux, et souvent d’importance moindre (malgré quelques exceptions à l’image de Simone Veil).


Ainsi, quand, en mai 1991, Édith Cresson est nommée Premier ministre par le président François Mitterrand, l’étonnement est de mise dans les rangs médiatiques et politiques. Certains se réjouissent de cette révolution symbolique, l’opinion publique y étant plutôt favorable, mais la grande majorité des commentaires restés en mémoire témoignent d’une misogynie décomplexée. La classe politique est particulièrement virulente envers la femme, bien davantage ciblée que la politicienne ; les critiques et remarques désobligeantes proviennent y compris des rangs de la majorité socialiste. La conduite de sa politique passe au second plan et son style de communication direct, volontariste, sans concession, braque l’opinion ; chacun de ses excès oratoires fait l’objet d’un haro généralisé. Après onze mois de mandat, elle est contrainte à la démission, remplacée par Pierre Bérégovoy. Il faut attendre encore la loi du 6 juin 2000 sur la parité pour favoriser l’égal accès aux fonctions électives, ce qui n’empêche pas la persistance d’écarts dans la répartition hommes-femmes dans les mandats électoraux, notamment à responsabilités élevées. Des années après, Édith Cresson fait part de la virulence des attaques subies en tant que ministre, ce qui lui fait dire que « si c'était à refaire, elle ne le referait pas ». En ce qui concerne le scrutin présidentiel et les enjeux politiques à venir, son regard est désabusé : « Le pays est certainement prêt [à élire une femme présidente] mais la classe politique, non... ».

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