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« L’Histoire est la seule véritable fatalité parce qu’on ne peut pas la réécrire » Rencontre avec l'écrivain Laurent Binet

Dernière mise à jour : il y a 9 heures

L'Histoire et l'auteur


Laurent Binet

Histoire d'en Parler : Qu’est-ce que l’Histoire pour vous ?

Laurent Binet : Dans HHhH, j’ai écrit : « L’Histoire est la seule véritable fatalité parce qu’on ne peut pas la réécrire. »  Cela semble contradictoire avec le projet de mon dernier livre, où j’imagine que ce sont les indiens qui ont envahi l’Europe au XVIe siècle, mais il faut prendre le terme réécrire au sens métaphorique de refaire : ce qui est fait est fait, les morts sont morts, et on ne pourra rien y changer. L’Histoire, c’est ça, c’est ce qu’on ne peut pas changer (sauf dans nos rêves). De tous les mondes possibles, c’est le seul qui s’est réalisé. Je trouve ça fascinant. 




Faites-vous un travail scientifique en amont de votre écriture ? (Travail sur archives, ouvrages scientifiques, …)

Oui, et même un travail très lourd. Je lis des centaines de livres et je vais sur les lieux, autant que je le peux. Pour Civilizations, par exemple, je suis allé à Cuba pour voir les plages où Christophe Colomb a accosté. Pour HHhH, je suis allé des dizaines de fois à Prague.


Vos histoires semblent si crédibles. Quelles ont été vos inspirations pour arriver ainsi à retranscrire le style d’écriture de différentes époques ?

Chaque partie de Civilizations correspond à un genre précis. La première partie correspond aux sagas islandaises, et principalement ce qu’on regroupe sous le terme de « sagas du Vinland » : la Saga d’Erik le Rouge et la Saga des Groenlandais (deux textes très courts dans lesquels apparaissent le personnage de Freydis, la fille d’Erik le rouge).

La deuxième partie est une réécriture du journal de bord de Christophe Colomb, auquel j’ai d’ailleurs emprunté de nombreux extraits.

La 3e partie, qui est la principale, s’inspire des récits rapportés par les conquistadors, Pedro Pizarro notamment, qui était le jeune cousin de Pizarro, mais aussi de sources plus variées du XVIe siècle (Machiavel, Erasme), et parfois d’œuvres plus anachroniques (Lorenzaccio de Musset ou Salammbô de Flaubert) pour le style épique.

La 4e et dernière partie est un pastiche des aventures de Don Quichotte (mais également de Montaigne à la fin).


Entre HHhH et Civilizations, vous avez varié les périodes historiques, mais pourquoi ? Êtes-vous, au départ, intéressé par ces hommes, ces époques, et ces événements ? 

C’est le hasard qui a décidé de mon intérêt pour ces périodes, même si la Seconde Guerre Mondiale m’a toujours intéressé. Dans les années 90, j’avais été envoyé en Slovaquie pour donner des cours de français dans le cadre de mon service militaire. C’est là-bas que j’ai pris connaissance de l’incroyable histoire des parachutistes. En revanche, j’ignorais tout de la conquête de l’Amérique par les Espagnols. C’est une invitation au Salon du livre de Lima, au Pérou, qui m’a fait m’y intéresser.


D’où vous vient cette envie de réécrire l’Histoire (dans le cas de Civilizations) ? Quel objectif littéraire avez-vous en faisant cette démarche ? 

Je suppose que j’avais envie de donner l’occasion d’une revanche aux vaincus de l’Histoire. Et je crois aussi que j’aime cette idée que l’histoire tient parfois à des détails : si une poignée de Vikings avait changé de direction en l’an mille, alors toute l’histoire du monde aurait pu en être bouleversée.

En ces temps troublés, c’est peut-être une leçon d’optimisme. On ne peut certes pas réécrire l’histoire, mais elle n’est pas non plus écrite à l’avance. Cela signifie concrètement que le futur, le réchauffement climatique par exemple, ne sont pas des fatalités. L’un des quelques points positifs de la crise que nous vivons en ce moment est celui-ci : en cas d’urgence, on sait que l’on peut totalement arrêter l’économie, arrêter les usines, payer les gens pour qu’ils n’aillent pas travailler. Ce qu’on nous présente trop souvent comme des fatalités auxquels on ne peut rien changer, ce sont en fait des choix politiques.


Écrire l'Histoire


Ancien professeur de Lettres, aviez-vous également une ambition de mêler littérature et Histoire lorsque vous aviez des classes ? 

Oui, j’aimais bien raconter le contexte historique des œuvres que j’étudiais avec mes élèves.


Votre carrière et votre position politique font que vous êtes proche de la Gauche française. Vous aviez déjà écrit, dans La Septième Fonction du langage, une fiction autour d’un fait réel. Pourriez-vous à nouveau écrire un livre mêlant Histoire et fiction politique ?

Peut-être, mais je n’en sais rien. Pour l’instant, je travaille à l’adaptation en série de Civilizations.


Entre HHhH, Civilization ou La Septième Fonction du langage, quelle période historique est la plus exigeante ?

Peut-être Civilizations, parce que c’est la moins proche de nous, et parce que le livre couvre un champ spatio-temporel particulièrement vaste.


Civilizations


Laurent Binet, Civilizations

Comment vous-est venue l’idée d’inverser l’Histoire ?

J’ai toujours aimé le genre des uchronies : Et si les nazis avaient gagné la guerre ? Et justement en raison même de cette impossibilité de changer le passé, j’aime imaginer d’autres alternatives. C’est une rêverie un peu mélancolique, au fond. On rêve à l’impossible.


Êtes-vous le premier à avoir imaginer ce bouleversement ?

Non, il y a déjà eu des livres comme La Porte des mondes de Robert Silverberg, qui imaginait un monde dans les années 60 où l’Amérique n’aurait pas été découverte par les Européens. Il y a aussi une BD dont le sujet est très proche… mais en plus les Incas sont des zombies !


Quel est le lien avec le jeu Civilization ? Jouez-vous encore à ce jeu ?

Non j’ai arrêté, heureusement, parce que ça prenait beaucoup trop de temps. Mais j’aimais bien l’idée d’associer mon livre à un jeu. Après tout, mon histoire peut se voir comme un jeu de stratégie : comment faire pour conquérir un empire avec moins de 200 hommes sur une terre totalement inconnue.


HHhH


Dans ce livre, nous ne sommes pas dans l’Histoire fiction mais véritablement dans l’histoire de l’opération qui a conduit à la mort de Reinhard Heydrich. Comment avez-vous fait pour constituer l’histoire de ce personnage ? 

Heydrich, du fait de ses hautes fonctions au sein du IIIe Reich, est un personnage dont l’histoire est assez bien connue. Il y a eu plusieurs biographies le concernant.

Laurent Binet, HHhH

C’était plus compliqué pour les parachutistes, qui n’étaient pas des personnages publics. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils apparaissent moins dans mon livre (à mon grand regret), puisque je répugnais à inventer. Je ne voulais pas les transformer en personnages de fiction.


Vous alternez Histoire et réflexion personnelle, pourquoi avoir adopté ce style ? 

J’avais envie de partager mes propres interrogations, et j’aime les livres qui prennent la forme de conversations avec le lecteur.


Votre ouvrage a ensuite été adapté en film. Quel a été votre regard sur sa réalisation ? 

Le film est vraiment très différent du livre. C’est plus un récit historique romancé qu’une interrogation sur la nature des récits historiques. La problématique de mon livre était : Comment raconter une histoire vraie ? Le film n’aborde pas cette question. Par ailleurs, le tournage a eu lieu à Budapest, qui ressemble un peu à Prague, c’est vrai, mais pour qui connait Prague, c’est dommage de ne pas reconnaitre les lieux.


Conclusion


Vous sentez-vous Historien ?

Non, je peux avoir une démarche proche de celle de l’historien, notamment dans mes recherches, mais historien est un métier et ce n’est pas le mien. Lorsque j’écris des romans, je suis romancier.


Avez-vous d’autres uchronies historiques en prévision ? 

Non, mais peut-être un jour écrirai-je la suite de Civilizations, puisque la fin est ouverte, qui sait ?


Pensez-vous que vos ouvrages peuvent être étudiés dans le cadre d’un cursus scolaire ? 

Oui, je sais qu’ils le sont déjà, et certains extraits d’HHhH figurent dans certains manuels scolaires. Je pense que les thèmes de Civilizations peuvent aussi être abordés dans un cadre scolaire. C’est sans doute un peu plus difficile en ce qui concerne La Septième Fonction du Language, mais rien n’est impossible !

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