Pouvez-vous vous présenter ? Quel est votre parcours ?
Romain Vincent, professeur d’Histoire-géographie dans l’académie de Créteil depuis 2010 et en 2012, j’ai créé la chaîne YouTube « Jeux vidéo et histoire » qui est composée de vidéos montrant comment le passé est analysé dans les jeux vidéo. L’idée est de savoir comment transposer cette analyse en classe. En parallèle, en classe ou sur YouTube, je m’interroge sur l’intérêt du jeu. Au fur et à mesure, on m’a contacté dans le monde universitaire. En 2016, j’en ai fait un objet de recherche en sciences de l’éducation en me demandant comment les enseignants du secondaire utilisent les jeux vidéo. Je suis également chercheur associé à la Bibliothèque Nationale de France où je donne des conférences autour de ces thématiques.
Comment faire un lien entre l’Histoire et les jeux vidéo ?
L’Histoire sert de cadre narratif, c’est une ressource simple pour puiser des inspirations afin d’avoir des ressources narratives ou visuelles. Dans Assassin’s Creed, il y a un contexte historique qui se veut réel. Les histoires passent à côté de la grande Histoire avec quelques exceptions comme le III. C’est un jeu qui polarise les débats sur les jeux vidéo et l’Histoire mais quand on l’étudie, on voit moins de lien entre le ludique et l’Histoire. C’est un jeu qui focalise sur le visuel et pas sur la recherche historique.
Est-ce récent ce lien entre les deux matières ? Pouvait-on retrouver dans les premiers jeux vidéo des liens avec l’Histoire ?
Oui, ce lien est présent depuis le début dans des jeux comme Spacewar! par exemple. C’est un des premiers jeux vidéo où deux vaisseaux doivent se combattre en pleine Guerre froide. Ce jeu là parle de son temps comme les autres jeux vidéo. Les simulations militaires sont très anciennes car elles étaient déjà présentes sur la console Commodor 64 (1982). Assassin’s Creed n’a pas créé grand-chose. On a aussi des jeux qui sont plus dans une veine d’héroïque fantaisie médiévale.
Que peuvent apporter les jeux vidéo à l’enseignement de l’Histoire ? Et à la recherche historique ?
Les jeux peuvent apporter moins que ce qu’on en dit. Le grand apport est l’aspect de porte d’entrée : j’ai joué à tel jeu, je vais avoir envie de me renseigner et d’approfondir le sujet. Ça peut être un déclic. Cela peut donner envie mais c’est assez situé sociologiquement : quelle catégorie de la population avec quel contexte pour être réorienté après son jeu vers des lectures, des expositions, des voyages, … Il ne faut surtout pas surestimer la capacité des jeux vidéo à remplacer l’Histoire. Rien ne prouve qu’on apprenne l’Histoire avec les jeux vidéo. On ne joue pas pour apprendre mais pour jouer.
On ne peut pas faire d’Histoire médiévale en suivant des jeux vidéo. Par contre, on peut étudier la représentation d’une période : on fait du médiévalisme, on voit en quoi le jeu vidéo est une forme de représentation. Mais attention, avec cette réflexion, nous, passionnés d’Histoire, si on met un jeu qui traite d’Histoire, on repère aisément ce qui correspond ou non à la réalité, on fait du fact checking. Mais on oublie la spécificité du jeu vidéo, dont l’objectif n’est pas tant de produire un discours scientifique mais plutôt d’être un objet ludique.
N’y-a-t-il pas des dangers de mettre du numérique là où on cherche au contraire à sortir les enfants ?
Il y a deux types de discours : les jeunes jouent au jeu vidéo donc il faut que l’école traite les jeux vidéo. Mais cela ne veut pas dire grand-chose : il n’y a pas qu’une catégorie de jeunes, il y a plusieurs utilisations avec des intensités différentes. Il y a des jeux qui sont utilisés par toutes les catégories : FIFA, Fortnite. Les jeux vidéo sont une mosaïque de jeux différents. Par exemple, les collégiens ne jouent pas beaucoup à Assassin’s Creed selon les enquêtes. Le jeu est connu visuellement car il y a tout une machine de communication derrière. Le jeu vidéo est intellectualisé : ce n’est pas un jeu mais un document, on va réfléchir en mettant de côté le jeu. Il est dépouillé de sa fonction ludique. Le professeur est intéressé par le visuel. Le jeu n’est plus le même qu’à la maison, il n’y a donc pas vraiment de danger. Le danger serait à l’inverse de penser qu’à la maison, en jouant à Assassin’s Creed, on apprend l’Histoire.
À votre avis, les jeux vidéo peuvent-ils devenir à l’avenir des archives/sources pour l’historien ?
C’est déjà plus ou moins le cas ; certains scientifiques comme Julien Bazile ou Julien Lalu travaillent déjà dessus en s’intéressant au discours politique du jeu. Pour que le jeu vidéo soit légitime, on le ramène à des pratiques connues : le cinéma, la lecture, les bandes dessinées… On va entendre que les jeux vidéo sont de la littérature, il faut mettre de côté l’aspect jeu et le fait d’être ludique. Certains jeux parlent d’Histoire mais comme la matière est sérieuse et rigoureuse, on en parle à ce moment-là. On le fait passer par autre chose pour l’étudier.
En ces temps de confinement, pouvez-vous conseiller un ou des jeux historiques à nos lecteurs ?
Si on a du temps devant soi, on peut se concentrer sur des jeux chronophages : Crusader Kings II, Age of Empires, Europa Universalis. Il y a des jeux qui s’amusent à déformer l’Histoire comme Wolfenstein. On est dans une histoire où les nazis ont gagné la Seconde Guerre mondiale et on joue les résistants qui luttent contre les nazis. On retrouve aussi les jeux comme Sid Meier's Civilization mais monstrueux au point de vue temps. Le jeu a ici pour objectif de penser à autre chose et de s’amuser.
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