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Photo du rédacteurPierre SUAIRE

Victor Noir, un journaliste assassiné par un Bonaparte (10 janvier 1870)

Peut-on imaginer un cousin du chef de l’État qui assassine un journaliste opposant du régime ? C’est ce qui est arrivé le 10 janvier 1870 dans les beaux quartiers parisiens. Retour sur cette histoire qui consacre un jeune lorrain comme un symbole aux dimensions multiples…


Yvan Salmon, né dans le sud des Vosges en 1848, prend très tôt comme nom de plume Victor Noir pour ses écrits dans différents journaux. À la fin des années 1860, le pigiste collabore à des publications satiriques virulentes, opposées à l’arbitraire du régime de Napoléon III, comme Le Pilori ou La Marseillaise. Les républicains estiment que l’empereur est parvenu au pouvoir de manière illégitime (la Constitution du 4 novembre 1848 qualifiait ainsi la tentative de renverser le pouvoir de « crime de haute trahison ») et ils revendiquent une pleine liberté politique. Ils accusent ainsi les bonapartistes d’être des criminels qui exercent le pouvoir de manière violente. Les provocations envers les républicains se multiplient ; ils sont dépeints comme de dangereux activistes prêts à renverser l’ordre établi. En ce début d’année 1870, le climat de tension est ainsi particulièrement électrique.


Un des cousins de l’empereur Napoléon III, le sanguin Pierre-Napoléon Bonaparte, se trouve pris dans la tempête médiatique après avoir menacé explicitement des républicains corses de les massacrer. Le polémiste Henri Rochefort le provoque formellement en duel, tandis que d’autres patriotes corses et des journalistes républicains de métropole s’estiment diffamés par Pierre-Napoléon Bonaparte. Entre les calomnies et insultes réciproques, le journaliste Victor Noir est envoyé en témoin pour obtenir des excuses ou tout du moins pour organiser une réparation auprès du journal bastiais La Revanche. Le prince, s’attendant à répondre aux hommes de Rochefort, rejette violemment le jeune journaliste vosgien. Celui-ci, solidaire des positions anti-bonapartistes de ses confrères, résiste avant de subir plusieurs coups de revolver de la part de l’irascible prince. Il succombe une heure après l’entrevue.



Ce terrible fait divers devient très rapidement une affaire d’État, qui menace l’existence même du Second Empire. Les obsèques de Victor Noir sont organisées dans les quartiers bourgeois de Neuilly-sur-Seine, pour éviter l’insurrection parisienne. La foule est néanmoins immense ; plus de 100 000 personnes réclament l’inhumation de ce symbole de la brutalité bonapartiste à Paris. Henri Rochefort a ce mot terrible pour l’Histoire : « J'ai eu la faiblesse de croire qu'un Bonaparte pouvait être autre chose qu'un assassin ». L’impunité du régime est l’un des motifs qui attise la révolte des Français durant cette année 1870 ; en effet, le prince Pierre-Napoléon Bonaparte est acquitté en mars 1870, au motif de la légitime défense. L’agitation politique perdure y compris après la chute du régime avec l’éclatement de la guerre franco-prussienne. Vingt ans après, la dépouille de Victor Noir est déplacée et représente, de nos jours, l’une des principales attractions du Cimetière du Père-Lachaise.


Pour aller plus loin :


* « Vallès et l'enterrement de Victor Noir », André Le Milinaire, Annales de Bretagne, Persée, 1970 ;

*« La tombe de Victor Noir au cimetière du Père-Lachaise », Marina Emelyanova-Griva, Archives de sciences sociales des religions, 2010 ;

* « C'était à la Une ! L'assassinat de Victor Noir à Auteuil », France Culture en partenariat avec RetroNews, 13 avril 2018 ;

* « Victor Noir et son gisant turgescent : martyr du Second Empire et héros malgré lui », Bertrand Munier, Éditions du Signe, 2019 ;

* « 12 janvier 1870, Funérailles tumultueuses de Victor Noir », André Larané, Hérodote, 9 janvier 2020 ;

* « 12 janvier 1870 : Victor Noir, le journaliste assassiné par Pierre Bonaparte devenu symbole de fécondité », L’Est Républicain, 12 janvier 2021.

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